journée de l'ingénierie

1re édition de la Journée de l’ingénierie à Lyon : réutiliser, réinventer, régénérer – pour une ingénierie du vivant et des territoires

Le 23/04/2025

Le 15 avril 2025, l’Hôtel de Région Auvergne-Rhône-Alpes a accueilli la première édition de la Journée de l’ingénierie, événement inédit, organisé par le Collège d’ingénierie Lyon Saint-Etienne ouvert à tous les acteurs et toutes les actrices de la région : ingénieur·es, étudiant·es, lycéen·nes, entreprises, collectivités, citoyen·nes. Cette journée, pensée comme un espace de débat et d’inspiration, s’est articulée autour d’un triptyque ambitieux : « Réutiliser, réinventer, régénérer ».

Cinq tables rondes et des ateliers de médiation scientifique ont rythmé cette journée dense, marquée par un objectif clair : remettre l’ingénierie au cœur de la transformation écologique et sociale, dans une logique profondément territoriale.

/// Réutiliser : valoriser les ressources existantes, changer de rapport à la matière

journée de l'ingénierie

Dans un monde fini, où les ressources deviennent critiques, la réutilisation s’impose comme un levier incontournable. De nombreuses et nombreux intervenant·es ont pointé le caractère profondément gaspilleur de nos modèles industriels actuels.

Fabrice Bonnifet (directeur développement durable et qualité, sécurité, environnement - Groupe Bouygues) a été particulièrement direct : "80% des surfaces construites ne servent à rien, les voitures sont à l’arrêt 96% du temps." Il appelle à une réduction massive de la production, couplée à une durabilité accrue de tout ce qui est produit. Cela suppose de réintégrer dans chaque modèle d’entreprise une logique de dette environnementale à rembourser.

Bernard Yannou (directeur du Laboratoire génie industriel et directeur-adjoint de la recherche - Centrale SupElec) a insisté sur la nécessité d'une approche low-tech. Dans le secteur du bâtiment, il rappelle que moins de 1% des matériaux sont aujourd’hui réutilisés dans de nouveaux projets. Un enjeu colossal.

De son côté, Arnaud Mercier (chargé RSE - stratégie et mobilité durable, Michelin) a présenté un modèle exemplaire d’économie de la fonctionnalité : vendre non plus des pneus, mais un service facturé au kilomètre, optimisant la durabilité, la sécurité et la réduction des déchets.

/// Réinventer : repenser nos modèles économiques et industriels à l’échelle des territoires

journée ingénierie médiation scientifique

La réinvention ne concerne pas seulement les technologies, mais surtout la manière dont elles s’inscrivent dans les territoires, les usages, et les écosystèmes vivants.

Laure Flandrin (enseignante chercheuse - École Centrale Lyon) a posé un cadre fort dès l’ouverture : "Notre économie est prédatrice, linéaire, et pensée en opposition au vivant. Il faut réencastrer l’économique dans le social et le social dans l’environnemental." Elle défend une approche territorialisée et coopérative, où les acteurs locaux construisent des réponses adaptées à leurs enjeux spécifiques, plutôt que d’imposer des solutions macro.

Antoine Denoix (PDG - AXA Climate) a poursuivi cette idée en soulignant que les risques climatiques diffèrent selon les territoires, et que les entreprises doivent se reconnecter à leur ancrage local pour s’adapter. Il appelle à modéliser la résilience – par exemple en valorisant économiquement le recyclage de l’eau ou la consolidation des sols en viticulture.

Isabelle Delannoy (présidente de Symbiotique) quant à elle, appelle à passer d’une logique linéaire à une logique systémique, où la coopération autour des ressources vitales (comme l’eau) devient centrale. Elle rappelle que réinventer les méandres des rivières peut permettre de recharger les nappes phréatiques et d’éviter une explosion du prix de l’eau.

/// Régénérer : une ingénierie au service du vivant

journée de l'ingénierie table-ronde

Enfin, le troisième pilier de la journée portait sur la régénération : au-delà de la sobriété et du recyclage, il s’agit de redonner à la nature plus qu’on ne lui prend, d’imaginer des modèles industriels qui deviennent positifs pour les écosystèmes.

Laurence Borie-Bancel (présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône - CNR) a illustré cette approche avec l’exemple de la CNR, qui produit une énergie 100% renouvelable tout en aménageant le fleuve Rhône pour stabiliser la nappe phréatique et soutenir l’agriculture locale.

La question de la géo-ingénierie, portée par François Gemenne (co-auteur du sixième rapport du GIEC et Président du Conseil scientifique - Fondation pour la Nature et l'Homme) a également été abordée comme un signal d’alerte : face à l’échec des politiques actuelles, doit-on manipuler le climat artificiellement ? 

Entre technologies risquées (injection de soufre dans l’atmosphère, forêts artificielles, miroirs spatiaux) et dilemmes éthiques, le débat reste ouvert, mais il montre l’urgence d’agir autrement avant d’en arriver à ces extrêmes, et surtout le rôle que l’ingénieur devra jouer demain.

/// Une ingénierie des limites et des liens

Les directeurs et la directrice des 4 écoles : Pascal Ray (Centrale Lyon), Cécile Delolme (ENTPE), Frédéric Fotiadu (INSA Lyon) et Jacques Fayolle (Mines Saint-Etienne)

Les directeurs et la directrice des 4 écoles : Pascal Ray (Centrale Lyon), Cécile Delolme (ENTPE), Frédéric Fotiadu (INSA Lyon) et Jacques Fayolle (Mines Saint-Etienne)

Au terme de cette journée, une idée s’est imposée : l’ingénierie de demain ne peut être ni extractive, ni isolée, ni techno-centrée. Elle doit faire lien : entre les humains, avec le vivant, au cœur des territoires.

Réutiliser, réinventer, régénérer — ces trois verbes tracent un cap clair pour la transformation des pratiques, des formations, et des modèles économiques. 

La première Journée de l’ingénierie pose ainsi les bases d’un nouvel imaginaire technique : celui d’un monde où l’innovation n’est plus synonyme de croissance matérielle, mais de résilience collective.