Le 20 mai 2021, à la Cité de sciences et de l’industrie de Paris, se déroulera la 1ère édition des Rendez-vous majeurs, le nouvel événement des risques technologiques en France. Organisé par l’association AMARIS, avec l’appui de l’Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et le soutien du Ministère de la transition écologique, il permettra aux acteurs du secteur de se rencontrer et d’échanger sur des thématiques en phase avec les enjeux actuels de la prévention et la gestion des risques.
Dans ce cadre, l’ENTPE co-organise un débat sur l’information et la concertation avec les habitants impactés par des risques technologiques majeurs. En avant-première, voici les grandes lignes des thèmes qui seront abordés lors du débat.
Et bien sûr, pour découvrir le programme et vous inscrire, rendez-vous sur le site internet de l'événement !
/// Thématique 4 – Dialogue avec les habitants
>> Information, concertation : les outils réglementaires sont-ils condamnés à être inefficaces ?
Interview d’Emmanuel Martinais, ingénieur, docteur en géographie, spécialiste des risques industriels et de l’urbanisme, et professeur à l’ENTPE.
Chaque fois qu’un accident survient, les mêmes critiques reviennent systématiquement : l’information et la concertation ne marchent pas. Les riverains ne connaissent pas les risques qu’ils encourent, ni les gestes à adopter en cas de problème. Pourtant les outils sont là, toujours plus nombreux, mais rien n’y fait. Mais peut-être est-ce parce que l’on ne regarde pas le problème sous le bon angle. Et que, là encore, il faudrait peut-être changer de paradigme.
Pourquoi, encore, ce débat ?
La question introduite par ce débat est un peu provocante, mais elle doit être posée. Ne serait-ce que pour essayer de dépasser ce constat d’échec systématique. De mon point de vue, il est temps d’arrêter d’empiler les dispositifs, de croire qu’un nouvel outil qui ressemble au précédent dans son principe pourrait produire d’autres effets, pour enfin commencer à réfléchir aux causes véritables du problème. Lorsqu’ils pensent information et concertation, les acteurs en responsabilité sont surtout dans l’idée d’inculquer cette fameuse « culture du risque » qui, normalement, permet aux publics d’adopter les bons comportements face à l’accident. Mais ce qu’ils ne voient pas, c’est que cette « culture du risque » est imprégnée d’une rationalité gestionnaire qui ne fait pas sens pour les gens ordinaires. Et que dans ces conditions, le message a du mal à passer, voire ne passe pas du tout. Du coup, les acteurs de la prévention ont tendance à reporter la responsabilité de ce défaut de communication sur le public visé. Quand l’information et la concertation ne produisent pas les effets escomptés, c’est rarement de leur faute. C’est plus souvent celle des riverains qui ne font pas l’effort de s’intéresser, qui ne viennent pas aux réunions publiques, qui comprennent systématiquement de travers et posent forcément les mauvaises questions.
Le dialogue est-il impossible ?
En fait, il faut bien voir que l’habitant n’est pas toujours réceptif à la logique réglementaire du gestionnaire. Tout simplement parce qu’il n’envisage pas la réalité de la même manière, selon la même rationalité. Par exemple, lorsque les acteurs de la prévention séparent les risques accidentels et les risques chroniques, comme la réglementation les y incite, les habitants ont tendance à les penser comme un tout indissociable. Pour un industriel ou un ingénieur de la DREAL, le risque n’a rien à voir avec la pollution. Pour le riverain au contraire, risques et nuisances ne forment qu’une seule et même réalité : ils n’ont donc pas vocation à être distingués, ni dans les discours, ni dans les actes, encore moins dans l’information réglementaire. Le problème est que ce type de constat n’est jamais vraiment pris en compte et que, dans ces conditions, l’information et la concertation ratent la cible et ne produisent pas les effets escomptés.
Quelles pourraient-être les pistes de réflexions ?
Avant tout, il faut arrêter de croire que le problème est forcément du côté du public qui ne joue pas le jeu et que la solution est dans le choix du bon outil. Il faut renverser la perspective et aller aussi regarder du côté des gestionnaires et de leurs difficultés à se mobiliser sur ces sujets, par manque de disponibilité, de moyens et de savoir-faire. Beaucoup montrent également un faible intérêt pour ces questions. Les techniciens, d’où qu’ils viennent, partent souvent du principe que la relation au public ne fait pas partie de leur métier. Pourtant, elle est une de leurs missions. Et de plus en plus. Globalement, il va donc falloir passer d’une culture du risque à inculquer aux habitants à une culture de l’information à développer chez les gestionnaires. Pour cela, il faut avoir en tête plusieurs grandes idées :
- L’information sur les risques est un droit pour les habitants. On ne peut pas considérer qu’on ne peut pas le satisfaire, même si ces derniers se montrent peu intéressés a priori.
- L’information du public est aussi un atout pour les gestionnaires car, chaque fois que les habitants sont impliqués, même au travers de conflits, cela a un impact positif sur la sécurité. Les PPRT regorgent d’exemples qui vont dans ce sens.
- Lorsqu’elles sont concertées, les mesures de prévention sont globalement mieux appliquées et gagnent en efficacité.
- Enfin, il faut arrêter de penser le riverain comme un ennemi, qui ne pense qu’à son intérêt personnel et ne souhaite que le départ de l’entreprise. Les enquêtes montrent systématiquement le contraire.
Pour rendre l’information et la concertation plus efficaces, il faudra probablement se poser des questions sur la formation des acteurs en responsabilité, peut-être aussi sur le recrutement et l’organisation des entreprises ou des services concernés. Il pourrait être intéressant de réfléchir à la création d’un nouveau métier et de postes d’agents dédiés au dialogue riverain. Mais un dialogue qui puisse aller dans les deux sens, de l’entreprise vers les habitants, mais aussi de l’habitant vers les entreprises, et permette de maintenir un contact permanent, et pas une fois tous les cinq ans.